"Il existe autour de nous, dans l'espace proche d'un quotidien parfois oublié car trop familier, ou dans celui, plus lointain que l'horizon, nous renvoyant l'image d'un "ailleurs" aussi flou mais pour d'autres raisons, géographiques essentiellement, des images au potentiel à la fois enfantin, mature, stable ou désorganisé que d'aucuns nommeront à un instant précis, sauvages, puis, l'instant d'après, empathiques. Trouver le lieu où les visages se rapprochent de nous, masqués mais à découvert car oblitérés de désarmantes ouvertures que l'opacité, paradoxalement, révèle davantage qu'elle ne cache et fait ainsi frémir du centre du portrait jusqu'à la périphérie vernaculaire centenaire, un être inconnu qui se présente à nous, en toute franchise, vertical, frontal et pour toujours flottant dans sa position faussement définitive. Les portraits de Lea Dingreville nous sautent aux yeux comme le ferait un animal étrange, morcelé, et le spectateur voit dans ces yeux, ces rictus, ces aplats, le fourmillement d'une âme en devenir. Notre complicité s'impose. Notre approbation ou notre étonnement créent un élan où l'image détournée renvoie toujours notre imaginaire vers une origine ( à chacun de soulever ses propres voiles). Je connais cela. Mais je ne l'ai jamais vu. Je comprends cela; pourtant je ne l'ai jamais su. Telles sont ces oeuvres atypiques et solidement "classiques", dans le sens où le schéma, immuable, du dessin ou de la peinture, se trouve une fois de plus embarqué au coeur d'une rencontre ancestrale et toujours inédite. Le grotesque, la caricature, la monstruosité, depuis Bosch jusqu'à Ensor, font partie de notre modèle d'apprentissage de la vie. Les oeuvres d'art permettent, en un instant pérenne, le passage vers la compagnie vibrante de mondes parrainés se libérant du joug de leur ascendance et faire ainsi éclore, ici, au milieu d'un écrin dentelé, la force d'un dialogue qui nous prend aux tripes autant qu'il nous enrichit, dans la stupeur et l'éclat."

Dominique Pascaud